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Faut-il réduire la croissance démographique pour améliorer le climat ?

28 février 2022

 

La démographe et chercheuse à la VUB Soumaya Majdoub vient de publier l’essai “Consumeren als konijnen” (« Consommer comme des lapins ») qui aborde la question de la croissance démographique et du dérèglement climatique. Elle y pulvérise nombre de clichés, en s’appuyant sur les données.

 

Quid de l’expression bombe démographique que l’on entend parfois ? La croissance démographique est-elle exponentielle ?

C’est drôle qu’on se pose encore cette question, car entre scientifiques, on est tombé d’accord il y a longtemps sur le fait qu’il n’y a pas de croissance exponentielle de la démographie. Cependant, le mythe de la surcroissance a pu être instrumentalisé par un certain nombre d’organisations, de groupements, qui y trouvent une sorte de narratif qui leur permet de s’attaquer à des minorités, des groupes spécifiques, car il y aurait cette base « scientifique ». Et ce n’est pas le cas. En ce qui concerne la bombe démographique, je n’aime pas du tout ce terme, d’ailleurs. Et les mots ne sont pas innocents. Une bombe ne peut exploser qu’une seule fois. Si on fait croire à la population qu’il y aura une explosion, cela veut dire qu’il y aura des conséquences dont on ne pourra plus se relever. Ce genre d’image est voulue car elle fait peur. En fait, selon les projections de l’ONU, la population mondiale devrait augmenter de 2 milliards de personnes au cours des trente prochaines années, passant de 7,7 milliards actuellement à 9,7 milliards en 2050. Elle pourrait atteindre un nombre proche de 11 milliards d’individus vers l’an 2100. Il n’est absolument pas question d’une croissance exponentielle. La croissance démographique ralentira au cours des prochaines décennies pour aplanir la courbe d’ici la fin du siècle.

Ce qui est important à souligner, c’est qu’au cours de cette période, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans devrait être supérieur à celui des enfants de moins de 5 ans. Actuellement, dans le monde, les personnes âgées (65 ans et plus) constituent le groupe d’âge qui enregistre la croissance la plus rapide. En 2018, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le nombre de personnes âgées dans le monde a dépassé celui des enfants âgés de moins de 5 ans et, d’ici à 2050, il dépassera celui des adolescents et des jeunes (15-24 ans). Ceci vaut pour nos régions et l’Asie, surtout de l’Est. On sait que la Chine a voulu faire du « population engineering » et se trouve à présent face à un mur. Ces régions rencontrent déjà des difficultés considérables en matière d’assistance et de soins aux populations âgées.

Que veut dire cette « première », concrètement en termes démographiques ? Si les personnes vivent plus longtemps, il y a forcément davantage de personnes en même temps sur la planète ?

C’est quelque chose que le public, souvent, ne comprend pas. Cette croissance démographique supposée n’est en effet pas uniquement due à une augmentation des taux de natalité. Une part importante est due à la baisse de la mortalité et à l’augmentation de l’espérance de vie. Comme le montre tout graphique démographique, la soi-disant explosion démographique a commencé dès le 18e siècle, sextuplant en deux siècles. Des progrès ont été réalisés dans plusieurs domaines. La façon dont nous recueillons les informations et communiquons, combinée aux percées scientifiques et médicales et à une augmentation de la productivité, a certes entraîné une hausse des taux de natalité. Mais notre progrès technologique médical a fait en sorte que l’on arrive facilement à atteindre un âge que l’on n’atteignait pas auparavant. Au début du 19e siècle, atteindre l’âge de 30 ans était une victoire. En 1993, les gens atteignaient facilement 65 ans. En un espace relativement court, l’espérance de vie a augmenté de 80 %. Voilà votre « bombe démographique » ! Ce n’est pas comme si tous, nous avions décidé d’agrandir notre famille, avec 5, 6 ou 7 enfants, ce n’est pas cela !

Dans votre ouvrage, vous évoquez aussi le droit d’avoir des enfants comme un droit universel…

Si je voulais être un peu provocante, je poserais la question suivante : au lieu de s’interroger sur le nombre de personnes sur la planète, pourquoi ne poserait-on pas la question de voir s’il est préférable de réduire l’espérance de vie ! Puisqu’on dit qu’on n’arrivera plus à payer les pensions, alors arrêtons de vivre (rire) ! C’est une question qu’on ne se pose jamais mais il y a un parallèle. Pour moi, c’est aussi absurde de dire « mourrons plus tôt » que « faisons moins d’enfants ». La planification familiale, c’est un droit de l’homme, un droit universel. On ne peut pas y toucher. Cette idée d’arrêter de vivre est aussi évidemment contraire à l’éthique. Tout comme il est contraire à l’éthique de restreindre le désir des générations futures d’avoir des enfants parce que les modes de consommation actuels sont désastreux pour la capacité de charge de la terre. Au lieu de se soucier de l’effet de l’impact qu’a cette soi-disant surpopulation a sur notre terre, il faut se poser la question : qu’est-ce qui provoque ce changement climatique ? Quelles sont les raisons ? La réponse est évidente, mais on n’aime pas l’entendre : c’est la surconsommation, c’est notre standard de vie qui nous a amené à cette situation.

Mais ne sommes/serons-nous pas tout de même trop nombreux pour avoir tous assez à manger ou assez de place ?

Les changements démographiques depuis le 18e siècle se sont accompagnés d’une augmentation de 80 % de la production mondiale. On essaie souvent de prouver la surpopulation à l’aide de chiffres absolus, ce qui n’a aucun sens car la surpopulation est un concept relatif. Surpeuplé par rapport à quoi ? A la nourriture ? Aux ressources naturelles ? A l’espace de vie ? Ces trois variables augmentent plus rapidement que la population. C’est un fait. Depuis que des données sur la production alimentaire ont commencé à être collectées à l’échelle mondiale à la fin des années 1940, elle a constamment augmenté de 1% de plus que la population. Il y a donc assez de nourriture pour nourrir tout le monde. Si nous le voulons, nous pouvons aussi augmenter la production. Les experts sont unanimes dans leur évaluation de la production alimentaire mondiale. Nous pouvons facilement nourrir huit à dix fois la population mondiale actuelle. Nous n’avons même pas besoin d’innovations scientifiques ou de solutions biotechnologiques. Les pays les plus riches se débattent avec des excédents alimentaires systématiques ; il y a un excédent. Les pays les plus pauvres continuent à se battre avec des problèmes de bonne gouvernance et tentent de rester à flot dans un système caractérisé par des relations commerciales inégales et des obstacles à tout ce qui sent la libre entreprise. Nous accordons chaque année des subventions à l’agriculture et à l’élevage bovin. Cela fausse la production alimentaire mondiale, car ces subventions sont en partie utilisées pour laisser des terres arables inutilisées et donc non produites.

Quid alors de l’espace « vital » ?

Par exemple, si on voulait héberger la population totale, dans une seule ville aussi dense que New York, l’Etat du Texas serait suffisant. Bien sûr, cela va contre notre intuition. Et bien sûr ceci n’est pas souhaitable, mais ça montre comment nous avons une idée trompeuse de la réalité.

Si nous voulons lutter contre/limiter le réchauffement climatique, influer sur la croissance démographique n’est alors pas une variable intéressante selon vous ?

Je ne préconise pas la croissance démographique. Je dis juste que le « nombre de personnes sur terre » n’est pas un facteur décisif à prendre en compte dans le cadre du changement climatique. L’impact des humains sur cette terre dépend aussi du nombre de personnes qui s’y promènent mais ceci n’est pas une relation linéaire. Mais la vision que l’on a sur la croissance et le climat est en fait trop dramatique par rapport à la réalité. La croissance démographique n’est responsable que de moins d’un tiers de l’augmentation de la consommation, et donc de l’impact sur le climat et la consommation des ressources. Bien sûr, plus de gens sur la Terre signifie aussi une demande croissante de logements et un impact sur les espaces verts, la nature, la qualité de l’eau… Mais la croissance démographique n’est pas la raison principale du changement climatique et de la dégradation de la Terre. Même une croissance de plusieurs millions de personnes supplémentaires dans les pays à faible revenu ne changerait rien aux émissions mondiales. Aujourd’hui, 75 % de la population vit dans un pays dit « à revenu intermédiaire ». La moitié la plus riche de ce groupe (pays à revenu élevé et moyen supérieur) est responsable de 86 % des émissions mondiales de CO2. La moitié inférieure (pays à revenu faible et moyen inférieur) n’en compte que 14 %. Les pays les plus pauvres (où vivent 9% de la population mondiale) ne sont responsables que de 0,5%. 3 ou 4 milliards de personnes supplémentaires réparties sur Terre n’augmenteraient le CO2 mondial que de quelques pour cent. De quoi est-ce qu’on parle, quand on dit que l’on a peur de la surpopulation en Afrique ? C’est tellement surréaliste d’estimer que c’est la surpopulation qui pose problème.

Que penser de ceux qui disent, en Occident, ne pas vouloir faire d’enfant pour réduire l’empreinte écologique humaine ?

C’est toujours un choix. Ceux qui ne veulent plus d’enfants parce qu’ils veulent sauver le climat ont des objectifs nobles mais cela part d’une mauvaise compréhension de la réalité. Personnellement, je cherche à rectifier cette mauvaise compréhension de la réalité et non pas à m’attaquer à des solutions. La consommation, ou plutôt la surconsommation, et le mode de vie du toujours plus, toujours plus grand, sont à la base de la discordance entre l’homme et la nature. Nous ne sommes pas trop nombreux, nous consommons trop.

Il y a aussi eu une étude en ce sens qui a fait grand bruit en 2017, montrant que faire un enfant en moins est la manière la plus efficace d’économiser du CO2 dans nos pays…

Je vais rester gentille, mais même l’éditeur de la revue scientifique où est parue cette étude, a dû publier une rectification, car le modèle de calcul utilisé n’était pas correct, et même complètement à côté de la plaque. Le père et la mère se voient attribuer la totalité de l’émission de CO2 de leur enfant (alors qu’ils sont responsables de la moitié), tandis que l’enfant lui-même reçoit également la totalité de l’émission. Entre autres, on ne sait pas pourquoi les auteurs comptent deux fois les émissions de CO2 et la responsabilité de celles-ci. Les grands-parents ne sont pas non plus épargnés dans cette formule. C’est regrettable, car The Guardian avait publié un article disant au monde entier « voilà, nous avons maintenant la preuve scientifique qu’il faut avoir moins de bébés ». Mais à présent, pour aller contre cette idée, c’est compliqué, parce que personne ne va publier un article pour dire « les scientifiques se sont trompés »… Sauf qu’il faut le faire !

Le naturaliste David Attenborough évoque aussi régulièrement la surpopulation comme facteur important dans la crise de la biodiversité…

Je ne doute pas de sa sincérité. Mais il a tort ! Mais c’est tellement facile se dire que la surpopulation pose problème au lieu d’avouer que nous avons un problème de surconsommation et donc de surproduction qui est même la fondation de notre système économique. Dans mon livre, j’utilise souvent le terme « deflection », c’est devenu presque un réflexe d’aller chercher les coupables ailleurs. On voit le problème, on le vit, mais on ne veut rien changer à notre propre mode de problème. C’est plus facile de dire que si en Afrique, on commence à utiliser des préservatifs et prendre la pilule, tout va se résoudre.

La seule solution est-elle que tout le monde réduise son empreinte écologique d’une autre façon (de toutes les façons possibles sauf la croissance de la démographie ?) ? Quid des populations des pays les moins riches si leur niveau de vie augmente ?

Cette réaction est logique, mais cela fait partie de la mécompréhension du problème. Poser la question de cette manière revient à supposer que l’augmentation du niveau de prospérité se produira de la même manière que nous l’avons conçue depuis la révolution industrielle. Sauf que ce n’est pas le cas. Ce que nous visons, c’est une interprétation différente du mot « développement ». C’est quoi le développement ? Qu’est-ce ces pays-là recherchent ? Les pays en question ne se développeront pas comme des clones des anciens colonisateurs. Des chercheurs ont cartographié comment la relation entre la consommation d’énergie et six dimensions de la satisfaction des besoins humains varie en fonction d’un large éventail de facteurs socio-économiques. Ils ont constaté que la qualité des services publics, l’égalité des revenus, la démocratie et l’accès à l’électricité sont associés à des niveaux plus élevés de satisfaction des besoins et à des niveaux plus faibles de consommation d’énergie. À l’inverse, l’extractivisme et la croissance économique au-delà de niveaux modérés de prospérité sont associés à une moindre satisfaction des besoins et à une demande énergétique plus élevée. On a une fausse interprétation de ce que l’homme cherche !

Pensez-vous qu’il y ait de l’espoir ? Il semblerait quand même que la tendance en cas de « développement » soit de rejoindre le modèle occidental de pollution et de surconsommation ?

Pourquoi ? Parce qu’il y a ce lien avec nous, pays occidentaux. Quelles sont les entreprises qui produisent à cette échelle-là ? Ce ne sont pas des entreprises africaines ou asiatiques. C’est notre présence. J’appelle cela le phénomène d’extraterritorialité. C’est cela le problème ! Il faut revisiter les relations de pouvoir. Ce qui s’est passé à la Cop, est une illustration. On s’est dit qu’on allait décarboniser et l’Inde a répondu : « voici quelles sont les conséquences pour notre économie ». Même dans les propositions de solution, il y a une inégalité inhérente à nos institutions. Dans la situation où on est, il faudrait que les solutions viennent de tout le monde autour de la table.

D’ici à 2050 la population africaine devrait augmenter de 91 % passant de 1, 3 milliard à 2,6 milliards, soit 60 % de la croissance démographique mondiale. Dans les pays en voie de développement, réduire la natalité ne permet-il pas aussi par conséquent de réduire la pauvreté et d’améliorer la condition des femmes (éducation alors possible…) ?

Tout d’abord, permettez-moi de rappeler encore une fois que la planification familiale est un droit de l’homme. Qui sommes-nous pour aller imposer une réduction de la natalité ailleurs ? Mais pour répondre à votre question, c’est l’inverse. Si on arrive à donner l’accès à l’enseignement, à la bonne gouvernance politique du pays, à l’économie globale aux mêmes termes que nous… Si on arrive à travailler là-dessus, on augmente le standard de vie. Qui dit hausse du standard de vie, dit baisse de natalité. C’est une évidence dans la démographie. C’est ainsi que cela s’est fait chez nous et cela va se faire pareillement dans d’autres régions.

A l’inverse, en quoi ce serait un danger de ne pas faire assez d’enfants en Occident ?

Je veux éviter à tout prix un déterminisme démographique, mais l’Allemagne a récemment indiqué qu’elle aura besoin de plus d’immigration pour éviter que de graves pénuries de main-d’œuvre ne sapent la productivité et ne compromettent la réussite de la transition énergétique. C’est ce qu’affirme le ministre allemand de l’économie, alors que la plus grande économie d’Europe est confrontée à une crise démographique. Ils se préparent à une situation où un million de postes vacants devront être pourvus. Le « wir schaffen das » de Merkel n’était pas seulement une réponse humaine mais aussi un calcul économique au taux de natalité trop bas qui inquiète d’ailleurs aussi beaucoup d’autres pays. Le mois passé The Economist a consacré un article aux pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Il y a 20 ans, ces pays étaient considérés comme un paradis de développement économique. Mais chacun de ces pays affiche à présent un taux de croissance démographique trop faible pour garantir la croissance économique désirée par ces pays (et nous car ce sont nos partenaires commerciaux). Il est très paradoxal que nous parlions en même temps d’une surpopulation ailleurs et d’une crise démographique dans nos régions. Je l’explique dans mon livre : c’était depuis le tout début comme cela ! Depuis Malthus au 18e siècle. Le grand public est toujours dans cette idée malthusienne (Malthus prédit que sans freins, la population augmente de façon exponentielle tandis que les ressources ne croissent que de façon linéaire. Il en conclut le caractère inévitable de catastrophes démographiques, à moins de limiter la croissance de la population, NDLR). Alors que ces théories étaient déjà remises en causes lorsqu’il était en vie.

Vous avez reçu des messages de haine après différents interviews. Pourquoi la croissance démographique est-elle un sujet délicat ?

Ce qui est derrière, c’est ce qui derrière toute politique de migration : cette crainte de ne pas avoir assez. Même avec les deux voitures devant la porte, on pense qu’il ne va pas y avoir assez. Au lieu de se dire qu’on va revisiter le modèle, on va protéger ce qu’on a et on ferme la boutique, on ferme les frontières. Au moment où la population est devenue un sujet politique, au 19e siècle, au même moment, on redéfinissait les frontières. D’un seul coup, la population est devenue une chose qu’il fallait gérer. Au sein de nos frontières, ou au-delà de nos frontières : ici, on est assez ou pas ? Et là-bas, ils sont trop ou pas ? Toujours la même crainte de ne pas avoir assez. Alors que l’on a assez et même trop.

Sophie Devillers est licenciée en langues et littératures romanes et diplômée en journalisme. Elle travaille pour « La Libre Belgique », dans le service Planète.Cet article a été publié le 11-02-2022 dans « La Libre Belgique ». Nous remercions Teresa Trelles de nous avoir suggéré la publication de cet article. Source : https://www.lalibre.be/planete/environnement/2022/02/11/faut-il-reduire-la-croissance-demographique-pour-ameliorer-le-climat-XLUJFN7X7JG6TOCJGI4Q4PSNLQ/. Deux petites erreurs ont été corrigées dans ce texte le 2-3-22.