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Le chemin synodal

1 septembre 2021

 

Le pape François évoque souvent la notion de « synodalité » et de « chemin synodal ». Elle sera le thème du prochain synode des évêques, en 2023. En Allemagne, le « chemin synodal » adopté par les évêques locaux fait l’objet de débats. Comment comprendre cette notion, qui signifie étymologiquement « cheminer ensemble » ?

 

C’est le pape Paul VI qui a institué le synode des évêques au début de la 4ème et dernière session du concile Vatican II. Il s’agit d’une institution permanente, érigée par le motu proprio Apostolica Sollicitudo, du 15 septembre 1965.

Ce document précise que « de par sa nature même, le Synode des Évêques a pour mission d’informer et de conseiller » (1). Il y est aussi indiqué que « le Synode des Évêques est soumis directement et immédiatement à l’autorité du Pontife Romain ». C’est au pape qu’il appartient de convoquer le synode, d’établir les thèmes à traiter, de ratifier l’élection des participants, de présider l’assemblée, etc. (2). Les pères synodaux sont les évêques choisis par les conférences épiscopales, les représentants des instituts religieux et les cardinaux qui président les dicastères de la curie romaine.

Une institution semblable, bien que non permanente, existe au niveau des conférences épiscopales, des provinces ecclésiastiques ou des diocèses. Dans le premier cas, elle s’appelle « concile plénier », dans le second « concile provincial », dans le troisième « synode diocésain » (3).

Un discours du pape François

A l’occasion du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Evêques, le 17-10-15, le pape François a prononcé un important discours dans lequel il décrit ce qu’il entend par « Eglise synodale ». En voici quelques passages significatifs :

« Une Église synodale est une Église de l’écoute (…). C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre. Le peuple fidèle, le Collège épiscopal, l’Évêque de Rome, chacun à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de l’Esprit Saint, l’“Esprit de Vérité” (Jn 14, 17), pour savoir ce qu’il dit aux Églises (Ap 2, 7). (…) A travers les pères synodaux, les Évêques agissent comme d’authentiques gardiens, interprètes et témoins de la foi de toute l’Église, qui doivent savoir discerner avec attention parmi les mouvements souvent changeants de l’opinion publique. »

« (…) le chemin synodal culmine dans l’écoute de l’Évêque de Rome, appelé à se prononcer comme “pasteur et docteur de tous les chrétiens”, non à partir de ses convictions personnelles, mais comme témoin suprême de la fides totius Ecclesiae [la foi de toute l’Eglise], “garant de l’obéissance et de la conformité de l’Église à la volonté de Dieu, à l’Évangile du Christ et à la Tradition de l’Église”. »

« Le fait que le Synode agisse toujours cum Petro et sub Petro [avec Pierre et sous Pierre] – et donc pas seulement cum Petro, mais aussi sub Petro – n’est pas une limitation de la liberté, mais une garantie de l’unité. En effet, le Pape est, par la volonté du Seigneur, “le principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité qui lie entre eux soit les Évêques, soit la multitude des fidèles”. A cela s’ajoute le concept de “communion hiérarchique”, utilisé par le Concile Vatican II : les Évêques sont unis à l’Évêque de Rome par le lien de la communion épiscopale (cum Petro) et sont en même temps soumis hiérarchiquement à lui en tant que Chef du Collège (sub Petro). »

Le synode n’est donc pas une assemblée parlementaire où s’affrontent majorité et opposition (4), ni un moyen pour un groupe de pression de changer la foi et la morale de l’Eglise. On ne peut pas non plus se référer à « l’esprit » ou à la « dynamique » du synode pour donner une valeur magistérielle à des opinions personnelles exprimées lors des travaux de l’assemblée. Enfin, un synode n’est pas une simple caisse de résonance de l’opinion publique, une notion souvent confondue avec une autre, qui est étroitement liée à celle de « synodalité » : le sensus fidei [sens de la foi] ou sensus fidelium [sens des fidèles].

Le sensus fidei

Le pape François a voulu que les deux synodes sur la famille (2014 et 2015) soient précédés d’une large consultation du Peuple de Dieu. De même, le synode sur le thème « Pour une Église synodale : communion, participation et mission » s’étalera sur deux ans, d’octobre 2021 à octobre 2023 et connaîtra trois phases (diocésaine, continentale, universelle).

Cette façon de faire répond à une autre caractéristique de la synodalité, également évoquée dans le discours du 17-10-15 :

« Après avoir réaffirmé que le peuple de Dieu est constitué de tous les baptisés appelés à “être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint”, le Concile Vatican II proclame que “la collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20.27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, ‛des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs’, elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel” (LG 12). »

La doctrine du sens de la foi des fidèles et de tout le Peuple de Dieu s’enracine profondément dans la Sainte Ecriture, dans la Tradition et dans le Magistère. Elle est par exemple bien présente dans les documents du concile Vatican II, principalement Lumen Gentium et dans le Magistère des derniers papes.

Tous ceux qui ont été incorporés au Christ par le baptême participent de sa mission prophétique, à travers le don de la foi, certes d’une façon différenciée, selon les fonctions et charismes de chacun. La foi, comme don du Saint-Esprit et comme vertu, instaure en chacun une sorte de connaturalité avec les vérités du salut. La foi théologale, en tant que telle, donne une connaissance infaillible des vérités qu’elle enseigne. Ce sensus fidei se traduit par une sorte d’intuition, de « flair », un sentire cum Ecclesia pour ce qui est des vérités de la foi (5). L’Eglise, en tant que Corps Mystique du Christ, bénéficie de ce même privilège lié à la foi. On opère parfois une distinction entre le sensus fidei du fidèle individuel et celui du Peuple de Dieu : le premier est appelé alors sensus fidei fidelis, le second sensus fidei fidelium.

On ne peut comprendre le sensus fidei qu’à partir de la foi, car il en est une manifestation. Il est un sens de la foi, pas de la raison, de l’imagination, de l’affectivité. C’est pourquoi un théologien peut manquer du sens de la foi, tandis qu’une personne illettrée peut l’avoir. Il peut arriver qu’au sein de l’Eglise, une majorité se dessine pour rejeter un point de doctrine, comme dans le cas d’Humanae Vitae, mais le sens de la foi ne se mesure pas au nombre de votes ralliés par une proposition (6). La théologie et le Magistère peuvent — et doivent — contribuer au discernement d’un authentique sens de la foi. A l’inverse, le sensus fidei peut éclairer le Magistère et orienter la tâche d’évangélisation de l’Eglise (7).

Le sensus fidei suppose de vivre authentiquement de la foi (critère subjectif) et d’adhérer au dépôt de la foi (critère objectif). Il doit donc faire l’objet d’un discernement fondé et autorisé, non seulement pour voir si ces critères sont respectés, mais, même au cas où ils sont présents, pour s’assurer qu’une opinion erronée d’une personne ou d’un groupe de personnes ne coexiste pas avec un vécu sincère de la foi.

Cependant, le sensus fidei ne se confond pas simplement avec le vécu de la foi et l’adhésion au Magistère. Quelques exemples :

– Benoît XVI invitait souvent les théologiens à prêter attention à la « sagesse des saints », à se mettre à l’écoute de la foi des tout-petits, ceux à qui il a plu au Père de révéler ce qu’il a caché aux sages et aux savants (cf. Mt 11, 25). Quand on lit sainte Thérèse de Lisieux, une personne sans grande instruction, elle délivre un message qui vient du cœur de la foi, plus fidèle que celui de certains théologiens.

– la piété populaire : le pape François disait un jour que si nous voulons savoir qui est Marie, « nous nous adressons aux théologiens ; si nous voulons savoir comment l’aimer, il faut le demander au peuple. » (8)

– quand François dit que « le Troupeau possède aussi son propre “flair” pour discerner les nouvelles routes que le Seigneur ouvre à l’Eglise », il évoque ces nouvelles façons d’actualiser le message de l’Evangile dans le contexte actuel, auxquelles les pasteurs doivent être attentifs. Saint Jean-Paul II, dans Familiaris Consortio, n. 5, parlait du « sens de la foi, don que l’Esprit accorde à tous les fidèles. (…) en raison de leur vocation particulière les laïcs ont pour tâche spécifique d’interpréter à la lumière du Christ l’histoire de ce monde, car ils sont appelés à éclairer et à ordonner les réalités temporelles selon le dessein de Dieu Créateur et Rédempteur ».

– la proclamation de la maternité divine de Marie au concile d’Ephèse a été accueillie par l’enthousiasme des foules ; les proclamations du dogme de l’Immaculée Conception (1854) et celle de l’Assomption de Marie (1950) ont été précédées par une forme de consultation du Peuple de Dieu.

Finalement, il n’est pas inutile d’ajouter qu’une consultation du Peuple de Dieu peut aussi fournir des données chiffrées, un état des lieux, une prise du pouls de l’opinion publique. Il s’agit de données d’ordre sociologique, différentes du sensus fidei, mais qui peuvent aussi avoir leur intérêt. Une autre question, qui relève davantage de la science de la communication, est de savoir comment une telle consultation peut être perçue par le commun des mortels. Un effort doit sans doute être fourni pour expliquer le vrai sens de la synodalité.

Stéphane Seminckx est prêtre, Docteur en Médecine et en Théologie.

 

(1) Le canon 342 du CIC précise : « Le synode des Évêques est la réunion des Évêques qui, choisis des diverses régions du monde, se rassemblent à des temps fixés afin de favoriser l’étroite union entre le Pontife Romain et les Évêques et d’aider de ses conseils le Pontife Romain pour le maintien et le progrès de la foi et des mœurs, pour conserver et affermir la discipline ecclésiastique, et aussi afin d’étudier les questions concernant l’action de l’Église dans le monde. »

(2) Canon 343 du CIC : « Il appartient au synode des Évêques de discuter des questions à traiter et d’exprimer des souhaits, mais non de trancher ces questions ni de porter des décrets, à moins que, dans des cas précis, il n’ait reçu pouvoir délibératif du Pontife Romain à qui il revient alors de ratifier les décisions du synode. »

(3) Leur nature et leur fonctionnement sont précisés dans les canons 439-446 et 460-468 du CIC.

(4) « (…) nous devons être précis quand nous parlons de synodalité, de chemin synodal, d’expérience synodale. Ce n’est pas un parlement, la synodalité ne signifie pas faire le parlement. La synodalité n’est pas la simple discussion des problèmes, de différentes choses qui existent dans la société. C’est au-delà. La synodalité ne consiste pas à chercher une majorité, un accord que nous devons faire au-dessus de solutions pastorales » (François, Audience au Conseil national de l’Action catholique italienne, 30-4-21)

(5) « Le sensus fidei fidelis permet à chaque croyant : 1°) de discerner si tel enseignement particulier ou si telle pratique qui se présente à lui dans l’Église est cohérent ou non avec la vraie foi par laquelle il vit dans la communion de l’Église ; 2°) de distinguer dans la prédication l’essentiel du secondaire ; et 3°) de déterminer et de mettre en pratique le témoignage à rendre à Jésus-Christ dans le contexte historique et culturel particulier dans lequel il vit. » (Commission Théologique Internationale, Le sensus fidei dans la vie de l’Église, 2014, n. 60)

(6) « En raison du don du Saint-Esprit, les membres de l’Église possèdent le “sens de la foi”. Il s’agit d’une sorte d’“instinct spirituel”, qui permet de sentire cum Ecclesia et de discerner ce qui est conforme à la foi apostolique et à l’Esprit de l’Évangile. Assurément, le sensus fidelium ne peut pas être confondu avec la réalité sociologique d’une opinion majoritaire, cela est clair. » (François, Discours aux membres de la CTI, 6-12-13).

(7) « Dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, j’ai souligné que “le Peuple de Dieu est saint à cause de cette onction que le rend infaillible ‛in credendo’”, ajoutant que “chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions”. Le sensus fidei empêche une séparation rigide entre Ecclesia docens et Ecclesia discens, puisque le Troupeau possède aussi son propre “flair” pour discerner les nouvelles routes que le Seigneur ouvre à l’Eglise. » (François,Discours à l’occasion du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Evêques, 17-10-15)

(8) Entretien avec P. Antonio Spadaro, publié dans les revues jésuites en septembre 2013.