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Un professeur juif défend le crucifix

30 août 2010

Pour le professeur Weiler, intervenant à la Cour de Strasbourg dans l’affaire concernant la présence de crucifix dans les écoles publiques italiennes, la tolérance envers l’autre ne peut se traduire par une intolérance envers sa propre identité.

 

 

C’est le 30 juin dernier que le professeur Joseph Halevi Horowitz Weiler est intervenu, devant la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg, au nom de l’Italie et de huit autres pays s’associant à celle-ci. Cette Chambre est appelée à statuer sur le recours introduit par l’Etat italien contre une sentence de cette même Cour Européenne qui oblige l’Italie à retirer les crucifix des écoles publiques. Cette sentence avait été rendue suite à une longue procédure entamée par Mme Solie Lautsi, une mère d’élève italienne d’origine finlandaise.

Le professeur Weiler est un prestigieux juriste, originaire d’Afrique du Sud, spécialisé dans le droit européen. Ayant enseigné en maints endroits en Europe et aux Etats-Unis, il est notamment titulaire de la chaire de droit européen « Jean Monnet », à Harvard, et cofondateur de l’Académie de droit européen.

Son intervention part du constat que la Cour, dans sa décision, formule trois principes clefs et que les Etats intervenants sont pleinement d’accord avec deux d’entre eux, mais pas avec le troisième. Ils sont pleinement d’accord avec le principe selon lequel la Convention Européenne des Droits de l’Homme garantit aux individus la liberté de religion, ainsi que la liberté à l’égard de la religion (ce qu’on appelle la liberté religieuse positive et négative). Ils sont pleinement d’accord également sur la nécessité qu’une école forme et éduque à la tolérance et au pluralisme.

Le problème réside dans ce que la Cour dit sur le principe de « neutralité » : « Le devoir de neutralité et d’impartialité de l’Etat, dit la sentence, est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des convictions religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci. Dans le domaine de l’enseignement, la neutralité devrait garantir le pluralisme ».

Selon le professeur Weiler, avec une telle prémisse, « la conclusion était inévitable : l’exposition du crucifix sur le mur d’une classe devait être considérée, bien sûr, comme l’expression d’un jugement porté sur la légitimité d’une conviction religieuse – le christianisme – et donc comme une violation de la Convention ». Pour lui, « cette formulation de la “neutralité” se fonde sur deux erreurs conceptuelles qui sont fatales aux conclusions retenues ».

Des formules variables

Dans le système prévu par la Convention, les Etats membres doivent garantir la liberté de pratiquer ou pas la religion. Mais cette obligation, selon Weiler, « est contrebalancée par une grande liberté quand il s’agit de religion ou de l’héritage religieux dans l’identité collective de la nation et dans la “symbologie” de l’Etat ».

Les formules sont très variables. En France, par exemple, la laïcité fait partie de la définition de l’Etat. Ce dernier ne peut donc admettre la présence d’un symbole religieux dans l’espace public. Mais « aucun Etat n’est obligé dans le système de la Convention d’épouser la laïcité ». De l’autre côté de la Manche , en Angleterre, « il existe une Eglise d’Etat, dont le Chef est aussi Chef de l’Etat, où les dirigeants religieux sont aussi membres d’office du Législatif, sur le drapeau de laquelle il y a la Croix , et où l’hymne national est une prière à Dieu demandant de sauver le Monarque et de lui accorder la victoire et la gloire ». Ce pays n’entre donc pas dans les limites étroites de neutralité définies par la Cour.

« En Europe, il existe une variété extraordinaire de relations entre l’Etat et l’Eglise. Plus de la moitié de la population de l’Europe vit dans des Etats qui ne pourraient être définis comme des Etats laïcs. Inévitablement, dans l’Education nationale, l’Etat et ses symboles ont leur place. Nombre d’entre eux, toutefois, ont une origine religieuse ou expriment une identité religieuse actuelle. En Europe, la Croix est l’exemple le plus visible, apparaissant sur de très nombreux drapeaux, au sommet des montagnes, des édifices, etc. Cependant il est erroné de prétendre, comme certains l’ont fait, qu’elle a seulement une signification religieuse. Elle est les deux choses à la fois, au regard de l’histoire, et une partie intégrante de l’identité nationale de nombreux Etats européens ».

Weiler donne un exemple : « Regardons une photographie de la Reine d’Angleterre dans les classes. Comme la Croix, cette image a une double signification. C’est l’image du chef de l’Etat. Et c’est aussi l’image du Chef titulaire de l’Eglise d’Angleterre. C’est presque comme le Pape, qui est Chef d’Etat et Chef d’une Eglise. Serait-il acceptable que quelqu’un demandât que la photo de la Reine ne doive pas être placée dans les écoles, au motif que cela n’est pas compatible avec ses convictions religieuses et son droit à l’éducation, parce qu’il est catholique, juif ou musulman ? ». De même, on ne pourrait pas afficher ni lire dans les classes la Constitution d’Irlande ou d’Allemagne : dans son préambule, la première présente une référence à la Sainte Trinité et à Jésus-Christ Divin Seigneur, et la seconde, à Dieu.

« Il est certain que le droit de liberté à l’égard de la religion doit garantir à chaque élève qui s’y oppose la possibilité de n’être pas impliqué dans un acte religieux, de ne pas participer à une cérémonie religieuse ou de ne pas être soumis à une quelconque affiliation religieuse, de sorte que ces actes ne soient pas des conditions de la jouissance des droits garantis par l’Etat. L’intéressé devrait certainement avoir le droit de ne pas chanter God save the Queen si cela est en opposition avec sa vision du monde. Mais cet étudiant peut-il demander que personne ne le chante ? ».

Une leçon de pluralisme

Weiler identifie ici « une énorme leçon de pluralisme et de tolérance. Tous les enfants en Europe, athées ou croyants, chrétiens, musulmans et juifs, apprennent comme un élément de leur héritage européen, que l’Europe garantit d’une part leur droit de pratiquer une religion librement – dans le respect des limites des droits des autres et de l’ordre public – et d’autre part, leur droit de ne pas croire du tout ».

« Dans de nombreux Etats non-laïcs, de vastes secteurs de la population, peut-être même la majorité, ne sont plus croyants. Mais l’enchevêtrement continu des symboles religieux dans le domaine public, et de la part de l’Etat, est toujours accepté par la population sécularisée comme faisant partie de l’identité nationale, et comme un acte de tolérance entre les concitoyens de ces Etats ».

Il se peut, affirme Weiler, qu’un jour les Britanniques veuillent s’affranchir de l’Eglise nationale, comme l’ont fait les Suédois, ou que les Italiens décident démocratiquement d’avoir un Etat laïc. Mais, pour chacun de ces pays, « ce choix lui incombe, non à cette Cour vénérable, et la Convention n’a jamais été interprétée, cela est certain, dans un sens qui la contraindrait à le faire ». « Or la requérante, Madame Lautsi, n’attend pas de cette Cour qu’elle reconnaisse le droit de l’Italie d’être laïque, mais qu’elle le lui impose comme un devoir . Ceci n’a pas de fondement dans le Droit ».

Mais qu’en est-il de l’identité culturelle de l’Europe à une époque où elle accueille des immigrants d’origines et de religions très diverses ? « (…) le message de tolérance envers l’Autre ne doit pas être traduit en un message d’intolérance envers sa propre identité ». Il n’exige pas non plus « que l’Etat devrait se dépouiller d’une partie de son identité culturelle, au seul motif que les expressions de cette identité pourraient être religieuses ou d’origine religieuse ».

Le professeur Weiler est d’avis que la position prise par la Cour dans sa sentence ne reflète pas le système de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Elle exprime bien plutôt les valeurs d’un Etat laïc. Adopter ce point de vue supposerait « l’américanisation de l’Europe, (…) à un double point de vue : tout d’abord, une seule et unique règle pour tous ; puis, une séparation rigide, dans le style américain, entre Eglise et Etat, comme si l’on ne pouvait avoir confiance que les peuples des Etats membres, dont l’identité est non-laïque, puissent vivre les principes de la tolérance et du pluralisme ».

Une attitude partiale

La seconde erreur que Weiler identifie dans la sentence de la Cour est la « confusion pratique et conceptuelle entre laïcisme, laïcité et neutralité ».

« Aujourd’hui, dans nos Etats, la principale division sociale relative à la religion n’est pas celle qui oppose, mettons, catholiques et protestants, mais celle qui oppose croyant et “laïciste”. La laïcité n’est pas une catégorie vide signifiant simplement absence de foi. Beaucoup la considèrent comme un large point de vue qui soutient, inter alia , la conviction politique selon laquelle la religion trouve sa place légitime seulement dans la sphère privée ».

La laïcité, ajoute Weiler, est une « position politique, respectable, mais qui n’est certainement pas “neutre”. (…) La laïcité veut un domaine public “dépouillé”, un mur dans les classes qui soit privé de tout symbole religieux. Il est juridiquement malhonnête d’adopter une position politique qui divise notre société, et de prétendre que, d’une certaine manière, elle est neutre ».

La présence d’un crucifix dans une classe n’a aucune raison d’être perçue comme coercitive : « (…) il appartient au programme suivi en classe d’expliquer le contexte et d’enseigner aux enfants dans les classes italiennes la tolérance et le pluralisme. Il pourrait aussi y avoir d’autre solutions, comme par exemple de montrer des symboles de plusieurs religions, ou de trouver d’autres formes éducatives appropriées pour faire passer le message du pluralisme ».

Les solutions peuvent différer selon les pays, suggère Weiler. « Il est clair que, étant donné les diversités de l’Europe sur ce point, il ne peut y avoir une solution générale qui soit adaptée à chaque Pays membre, à chaque classe et à chaque situation. Il faut tenir compte de la réalité politique et sociale des différents lieux, de leur démographie, de leur histoire et de leurs sensibilités, ainsi que des susceptibilités des parents. Mais, la France , avec le crucifix au mur n’est plus la France. L’Italie, sans le crucifix au mur, n’est plus l’Italie. Il en est de même de l’Angleterre sans le God Save the Queen ».

« Une seule règle pour tous, comme l’a décidé la seconde Chambre, privée de contexte historique, politique, démographique et culturel, n’est pas seulement à déconseiller. Elle mine le pluralisme, la diversité et la différence les plus authentiques que la Convention se propose de sauvegarder, et qui sont la marque de l’Europe ».

Source des citations : www.paperblog.fr . La structure du résumé est inspirée d’un article de www.aceprensa.com . Voir aussi l’article Tout n’est pas droit de l’homme .