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Le mariage chrétien à l’épreuve du divorce

28 juin 2011

Le Père Alain Bandelier vient de consacrer un beau livre au problème délicat et très actuel du divorce. Il en parle dans un entretien publié récemment dans la revue « La Nef »

 

 

 

Quelles sont les principales causes de divorce et les catholiques pratiquants sont-ils davantage épargnés ?

— La fragilité des couples est impressionnante. Y compris chez les catholiques. C’est un phénomène relativement nouveau. Il y a toujours eu des échecs et des drames, bien sûr, mais depuis quelques années, dans nos communautés chrétiennes, nous sommes témoins de ruptures que nous n’aurions jamais imaginées auparavant. On peut mettre cela sur le compte de l’environnement, qui n’est pas très porteur, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais alors il faut s’inquiéter. Car si les catholiques vivent comme tout le monde et divorcent comme tout le monde, où est le prophétisme ? Ce qui fait signe, c’est la différence.

Il y a un malentendu fondamental à propos du mariage. On confond amour et sentiment amoureux. On se marie — ou on vit ensemble sans se marier — parce qu’on s’aime. Si on ne s’aime plus, ou si on aime quelqu’un d’autre, on s’en va. La règle est qu’il faut suivre ses sentiments. Nous sommes très marqués par la revendication de l’épanouissement personnel, « le droit au bonheur » comme ils disent. Cela est évidemment très loin d’une vision biblique du mariage, qui est une alliance. Selon le texte de la Genèse, l’époux et l’épouse ont vocation de devenir une seule chair. J’insiste sur « devenir » : le texte grec dit « vers » l’unité. Le fondement du couple et de la famille, ce n’est pas « je t’aime », c’est « je t’aimerai ». Il faut conjuguer aimer au futur si on veut que le mariage ait de l’avenir !

L’Église ne condamne pas la « séparation de corps » — parfois nécessaire — mais le remariage : comment aider des jeunes à accepter une séparation sans possibilité de remariage ?

— Arrêtons d’abord de dire « l’Église permet » ou « l’Église interdit ». On parle de « la position de l’Église » comme si elle était chargée de définir des règles. En ce cas en effet, qu’est-ce qui l’empêcherait de changer la règle ? C’est d’ailleurs le rêve de certains qui entretiennent cette illusion : le pape pourrait un beau matin changer d’avis. C’est une conception aberrante du Magistère. Le pape n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais à son service.

Il faut donc revenir à l’enseignement du Christ. Jésus dit deux choses : Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni (Mt 6). Donc le mariage est indissoluble. Mais en même temps la séparation peut de fait se produire, puisqu’il parle aussitôt après de la femme éventuellement répudiée. Saint Paul l’énonce explicitement (1 Co 7, 11) : Au cas où la femme se séparerait, qu’elle ne se remarie pas, ou qu’elle se réconcilie avec son mari. Il faut en tirer la conséquence : vivre avec quelqu’un d’autre que le conjoint du mariage sacramentel est un adultère. Ce n’est pas l’Église qui le dit, c’est Jésus Christ.

C’est une parole exigeante, c’est indéniable, surtout quand la séparation touche des jeunes adultes — ce qui est hélas de plus en plus fréquent. Il faut d’abord rappeler que la solitude n’est ni un malheur ni une malédiction. Ou alors il faudrait interdire le célibat ! En fait l’acceptation dont vous parlez n’est pas à faire le jour de la rupture. Elle est à faire le jour du mariage. Je trouve qu’il y a une sorte de complicité dans le silence, un non-dit, aussi bien chez les jeunes qui demandent de se marier à l’église que chez les prêtres, diacres et laïcs qui les accueillent. On n’ose pas attirer l’attention sur la logique du mariage chrétien et sur les conséquences éventuelles d’une séparation. Après coup on va dire que l’Église est trop exigeante, ou pas assez miséricordieuse. Mais l’Église n’oblige personne à s’engager dans un mariage sacramentel ! Cela dit, il est évident que des époux devenus seuls, quel que soit leur âge, méritent d’être particulièrement entourés et soutenus par la communauté et par les pasteurs. Ce qui n’est pas toujours le cas, hélas. À notre époque soi-disant libérée, on a encore des réflexes bourgeois de méfiance ou de rejet devant les « divorcés ».

Comment analysez-vous l’augmentation des procès en nullité ? Les jeunes sont-ils plus immatures ?

— J’avoue que cette question me met mal à l’aise. On sait que d’un diocèse à l’autre, d’une officialité à l’autre, des dossiers comparables n’auront pas la même conclusion. L’introduction du critère d’immaturité est nécessaire, car il est exact que des jeunes adultes vivent parfois dans une sorte de bulle et d’irresponsabilité. Mais c’est un critère qu’il faudrait objectiver. Sinon c’est un moyen commode de contourner l’indissolubilité. Sur ce point, Benoît XVI a dit quelque chose de fondamental dans son dernier discours à la Rote romaine. Permettez-moi de le citer : « Il faut œuvrer afin que s’interrompe, dans la mesure du possible, le cercle vicieux qui a souvent lieu entre une admission facile au mariage, sans une préparation adéquate et un examen sérieux des qualités prévues pour sa célébration, et une déclaration judiciaire parfois tout aussi facile, mais de sens inverse, où le même mariage est considéré nul uniquement sur la base de la constatation de son échec. »

L’indissolubilité du mariage ne se prépare-t-elle pas loin en amont ?

— La préparation lointaine me paraît trop négligée. On ne s’occupe du mariage que lorsque les gens viennent pour « une petite bénédiction » comme ils disent. Le mariage est la vocation la plus courante, jusqu’à preuve du contraire. Et peut-être la plus négligée. Quelle place a-t-elle dans les parcours catéchétiques ? Dans les aumôneries d’adolescents ? On parlera des relations garçons-filles, sujet bateau depuis quarante ans. Mais comment transmettons-nous et traduisons-nous l’enseignement immense et merveilleux de Jean Paul II sur l’amour, la sexualité, le mariage ? Même dans les homélies, on aborde à peu près tous les sujets sauf celui-là. Donnons à contempler et donc à désirer la grâce des noces humaines sanctifiées par la tendresse du Christ pour sa Bien-Aimée qui est l’Église.

Que proposer aux divorcés-remariés catholiques ?

— J’ai appris du cher père Nourissat (un prêtre de Dijon qui, au Québec et en France, a initié une pastorale de la miséricorde pour tous les cœurs blessés) à ne pas dire « les divorcés-remariés », comme si c’était une identité. Ce sont des fidèles du Christ, des baptisés divorcés-remariés. Il faut être lucide, il y a aujourd’hui deux approches très différentes. La première, qui s’est beaucoup répandue dans le vide pastoral de ces dernières années, est plutôt dans le registre de la lamentation et de la réclamation : l’Église ne nous aime pas, ne nous comprend pas, nous exclut. On encourage des prières à l’occasion du remariage et la pratique de la communion eucharistique « en conscience » sans voir la contradiction avec l’enseignement du Christ que le Magistère actualise. Personnellement je suis convaincu au contraire que cet enseignement (exigeant, c’est vrai) est source de paix, de conversion, de croissance. Plutôt que focaliser sur des « interdits », cherchons ensemble tout ce que nous pouvons vivre du don de Dieu, « car les dons de Dieu sont sans repentance ». Les fidèles remariés civilement n’ont pas fini de déployer en eux et autour d’eux la grâce de leur baptême ni les fruits de la Parole.

Comment expliquer aux politiques que le mariage, par sa stabilité, contribue au bien commun de la société ?

— Cette question déborde largement mes compétences ! Il y a une sorte d’aveuglement politique, médiatique et plus largement sociétal qui fait qu’on s’interdit de voir le lien entre des familles heureuses et une société heureuse. D’un côté on promeut toutes les configurations possibles et imaginables de « contrat » à géométrie variable, d’un autre côté on affaiblit toujours plus la famille dite « traditionnelle » : papa, maman et les enfants. Or cela coûte cher, même au plan économique, à plus forte raison au plan éducatif et donc aussi en termes d’avenir pour le pays. Il faudrait avoir le courage de résister aux slogans égalitaires : il n’est pas vrai que tous les choix ont le même impact social, il est donc légitime que l’État en valorise certains, y compris au plan financier. Mais en arrière-plan ce sont des conversions plus profondes qu’il faut préparer et initier.

 

Ces propos ont été recueillis par Christophe Geffroy et publiés dans le numéro de mai de la revue « La Nef » (www.lanef.net). Nous remercions la rédaction de cette revue de nous avoir autorisé à reproduire ce texte.

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